mercredi 29 novembre 2017

hamac

qu'il a pris le chemin des fourmis
qu'il a garé sa voiture sous le niveau de la mer
qu'il s'est installé ici pour échapper à la police
ainsi qu'à une carrière gratifiante de docteur plus fier de ses cheveux que de ses gamins

que c'est une belle journée qui s'annonce parfumée par les delphiniums et les noisetiers
que sa petite gueuse l'aime 
que sa petite gueuse sent bon
que l'espace fructifie

que loin de tout il se sent bien
hamac pour lire avec les chiens
tarmac en déshérence pour réfléchir en compagnie de toute une famille de souris

que sa gentillesse est une prison
qu'il faut qu'il trouve un truc qui marche
qu'il faut qu'il trouve un truc qui marche rapidos
ou sinon il va faire du sale 
il le sait 
et tuer dieu
enfin plus ou moins

qu'il a manqué de trop de choses dans sa vie mais jamais d'addictions
qu'il se sent suffisamment beau maintenant
qu'il va pouvoir enfin postuler à ce dont il a envie
qu'il va manger un bout de gras
qu'il va boire un coup de gnôle
qu'il va survivre un jour de plus et que ça sera déjà pas mal pour un connard dont la fille unique est morte d'être montée dans la mauvaise bagnole 

mise en voix de merde n 2


mardi 28 novembre 2017

presqu'île

temps brumeux mais beau
je ne me presse de rien
au milieu des champs qui ont tant ramassé d'embruns 

terre retournée que les goélands retournent encore

terre mer
mer terre

et entre les deux
dix-sept secondes de prière devant la croix autour de laquelle
l'air sent le sel et le fumier parti en poussière


le Seigneur Dieu m'a ouvert l'oreille à l'instruction et l'instruction m'a reveillé à la révolte
et pourtant je me suis quand même perdu de vue

complètement perdu même

machines
moteurs
duvet d'oiseau accroché à la rouille

l'année grasse 
c'est du cran en prévision de l'année maigre
le temps perdu n'existe pas
le mauvais temps oui

c'est le temps qui dure beaucoup trop longtemps

y a des jours où y a du vide dans le paysage
y a des jours où je ne sais même plus marcher
y a des jours où je suis comme qui dirait foutu
vieux jours de tout 

où tout a un affreux goût de noisette
où y a des messes de partout
des messes pour les défunts
et des emprunts qui d'abord économisent la peine
et des emprunts qui ensuite pourrissent la vie

jamais d'emprunts jamais

les bêtes sont tristes de ne pas pouvoir se mettre à l'abri 
elles me regardent partir en direction du sémaphore
je n'ai plus aucun programme pour aujourd'hui sauf celui du vent qui bouge tellement que j'ai l'impression que la presqu'île s'éloigne

dimanche 26 novembre 2017

marmite (à Laurent Bouisset)

je roupille si je veux
je bouge si je veux
rien à foutre
je suis pas obligé de participer au monde normal des vivants qui ont l'air de travailler à se faire truander
et qui se font pourrir dans la touffeur
et qui se font engueuler dans la froidure et qui mangent de la soupe grise à longueur de journées

tous ces miracles de la vie gaspillés
leurs bouches sont comme des pansements que j'aperçois juste de l'autre côté de la barrière des arbres et des broussailles qui m'ont choisi voilà vingt ans lorsque j'ai commis trop d'erreurs et que mon frère a dû remboursé mes dettes
et que du coup je n'ai plus de dettes
et que du coup je n'ai plus de frère
et que du coup je vis ici parmi mes chats près de la rivière où y a personne pour m'emmerder 
sauf des fois
quand les fonctionnaires s'ennuient
et doivent distraire les pontes de chaispasquoi ou les présidents de chaispasoù 


dans ce cas-là
je pars me parfumer la tête ça veut dire vélo avec le vent
ça veut dire vélo avec ma vieille tête triste de n'y rien comprendre 


parfois l'incertitude m'empêche de dormir
mais je vais bien
à part mes yeux fatigués qui confondent couleurs et matières


même si l'idée du suicide m'a toujours réconforté

je vais pas me laisser flinguer le bonheur
surtout que ça mijote dans ma marmite
surtout que je lis le journal en compagnie de mes chats
surtout qu'il pleut fort aujourd'hui et que ma cabane a l'air de bien tenir le coup

mise en voix de merde n 1


vendredi 24 novembre 2017

minuit-midi par tous les temps

tu es un homme marié avec la neige
tu es un homme marié avec le feu
tu es un homme fatigué par le vin et par les beaux discours des investisseurs

de leur football
de leurs fringues
de leur téléphonie mobile
de leurs dialectiques qui dématérialisent les exploiteurs
mais pas les machines
mais pas les engins
mais pas les pannes après lesquelles tu es toujours en train de courir
et qui te défont la santé

midi-minuit
minuit-midi par tous les temps
et puis casse-croûte avec les Polonais les Grecs les Algériens 
casse-croûte avec les humbles les humiliés les coriaces
casse-croûte avec toutes les blessures du monde

patrons
syndicalistes
notables qu'il faut adorer pour que tout aille bien

mégots sur le bitume
mégots et tickets de PMU

ta fille a déménagé avec le sourire
ton collègue s'est acheté une maison avec le sourire
ton pote profite de sa retraite avec le sourire
ton ex s'est remariée avec le sourire
ton toubib s'est suicidé avec l'arme de service de son amant

toi t'as fait trois fois le tour de la terre tout en restant sur place 
lisière de la forêt aux petites aurores

lundi 20 novembre 2017

spirales

ton ex est un gendarme jaloux aux yeux zarbis
et tu es en train de tomber amoureuse de ton meilleur ami qui a un truc à te confier d'urgence

il veut devenir prêtre
ambiance

tu es peut-être un peu trop maquillée certes
et tu fumes sûrement beaucoup trop
ton grand-père t'en fait la remarque
tu l'adores
tu l'envoies chier
tu t'excuses immédiatement
et tu t'envoles jusqu'au centre-ville acheter de quoi tenir

mère sans enfant qui sent toujours le bonbon
la dame de la supérette t'insulte poliment
tu sais que la loi des pères fondateurs justifie ses malversations
tu sais aussi que la fossette de ton sourire la frustre à mort

tu t'en prives pas

avant que d'aller à la petite gare désaffectée chercher un peu de nouveauté et de réconfort parmi les parias et les mutants
tu décides que tout ce qui te dissoud et te diminue est en fait une bénédiction

t'enquilles les canettes de bière
t'enquilles les gorgées de gin
t'enquilles et tu dis que les enterrements sont les teufs que tu préfères
t'enquilles et tu dis que les mots magiques ont échoué mais que tu t'en bats le steak

spirales des galaxies par dessus les champs dénudés 

laxe

paraît que t'as un problème avec le cinéma français
paraît que ta voix fait rêver les poètes souls
paraît que ton nom sent la bite
paraît que tu n'as pas de carte de fidélité
paraît que ça ne surprend pas les hôtesses de caisse de là où tu habites
paraît que t'es amoureuse
paraît que t'écris pas
parait que tu passes très vite de l'autodérision à l'autodétestation
non sans une certaine classe
parait que t'es laxe

pas sorcière
pas folle
pas détruite
ton histoire ne mets jamais personne d'accord de toutes façons

ton père t'ignore
soit
ton oncle ne te reconnait pas
soit
tes proches s'éloignent quoi
et avec eux
leurs merveilleux gadgets
et avec eux
leurs ordinateurs ultra-performants
et avec eux
leur force de dissuasion nucléaire
leurs convergences t'emmerdent  profond

tu constates le progrès
tu constates surtout que leurs compétitions saccagent toute forme d'entraide
et qu'ils finissent toujours par blesser les gens qu'ils aiment avec leurs grilles de lectures


pas grave
toi aussi tu fais ça parfois
tu préfères inventer des dieux plutôt que de te prendre le chou avec ça

et ton cri va loin quand il s'agit de fermer
la gueule aux robots du genre
ou de faire peur modestement à l'institution menaçante

ville frontière
tu le tiens enfin ton trajet de ravins précieux et de littoral déserté aux herbes essentielles
silence qu'est la prière
grammaire fantastique de la naissance des vagues

t'as la nette impression que le soleil qui se lève te lave de tes lacunes au sol et de ta boue mentale
leçon du ciel

tu trouves tous les couples bizarres 
normal tous le sont te dit Frax
tout en te déplaçant les chairs
zones d'ombres érogènes
extases d'animaux rares
qui te font inventer des mots
uniquement composés de consonnes bilabiales

t'es une meuf du XX ème siècle toi
t'as parfois besoin de regarder des merdes à la téloche


vendredi 17 novembre 2017

de quoi tenir


11 novembre

ça y est 
Alessandro a démissionné
il a quitté Toulouse
il squatte aux îles Canaries en attendant un bateau-stop pour l'Argentine

légère brise ce matin qui empêche le gel de se déposer

Pierrette attaque une cure d'un mois de bain de bouche ayurvédique à base d'huile de sésame
au bout d'une journée elle arrête tout ça
trop vomitif ce truc

au dessus de la rocade
les transversales de la lumière n'appartiennent ni au jour ni à la nuit
voiture sur le toit en direction de l'aéroport


Carine s'est engueulée avec Jean-Baptiste
Carine s'est disputée avec Géraldine

la plupart des gens ne semblent pas s'apercevoir qu'ils représentent ce qu'ils dénoncent

odeurs de métal chauffée dans la galerie marchande

Gilbert est en arrêt maladie pour cause d'hémorroïdes
ses blagues homophobes ne vont pas me manquer

(toujours pas de nouvelles de mon frère)

jeudi 16 novembre 2017


peluches

ton mec c'est mieux qu'un ami
ton mec c'est mieux qu'un frère
ton mec c'est ton père et c'est ta mère
ton mec 

c'est devenu ton colocataire ton mec
et c'est beaucoup mieux comme ça

vous vous adorez
vous vous supportez pas
vous vous manquez tout le temps

appui précieux des muscles de vos sourires quand vous échouez avec tant de tendresse

faut des sous pour finir la maison
où c'est le chantier perpétuel
faut des sous et faut des plans et pas qu'un seul

dans le métro dans la vitre
y a la pluie qui raconte ta vie
bourbon au goulot en peaufinant ton maquillage

montrer son cul pour soi-disant survivre
automutilation pour soi-disant se sentir bien
tes cicatrices tu les aimes bien
passque tu les as choisies elles au moins

pas tes taches de naissance

peluches qui ne passent pas en machine
peluches qui chialent dans ton ventre
peluches

dimanche 5 novembre 2017

cryoturbation

voix off
tu viens de perdre un ami très cher
et les symboles et les rituels ne te suffisent pas
les médicaments non plus


voix off 
tu viens de perdre un ami très cher 
et tu cherches une ville où tu puisses t'ennuyer 

whisky dans l'habitacle
les souvenirs remontent
triés comme des pierres

sur la route
la lumière respire autrement
grisaille mauve qui réinvente tout
tu te dégotes un petit hôtel à Roscoff

Roscoff
tu connaissais la Bretagne mais pas Roscoff

la thalassothérapie
les balades en bateaux
les enclos paroissiaux
ouais tu dis bof


sans le savoir
tu attaques déjà le forage jusqu'au feu de toi-même
les moments décisifs 
arrivent toujours quand y a personne