vendredi 6 avril 2018

photo Jim Floyd

la nuit c'est tous les jours


2018
même les zonards se la pètent dans ce quartier
et les dames marchent comme si elles trimballaient le Saint-Graal entre leurs cuisses
(pas toutes)
je lâche un rot à soulever leurs jupes mais c'est leurs masques qui tombent

1991
ma mère demande le divorce
mon père l'attrape violemment par les épaules
et ne veut plus la lâcher
je dépose doucement mon père au sol

sinon avec le recul
je peux maintenant affirmer que leur divorce
nous a tous bien fait progresser en tant qu'êtres humains
faut bien le reconnaître

la vulnérabilité rend plus fort

2018
pour me situer ou bien pour me perdre
je regarde toujours le ciel
caresses que je gueule
emmerdes que je mords
pas de réseau social
pas de monde mort

1997
louée soit Emmanuelle

pas celle-ci 
l'autre
louée soit l'extrême-gauche

pas celle-ci l'autre
j'ai enfin un corps et en plus c'est le mien
et puis j'aime toujours autant ces histoires d'adultes qui fuguent

2018
je quitte l'autoroute
les vibrations de la bagnole me bercent les couilles
je poursuis un signal un écho une anomalie 
tant pis si le besoin de comprendre m'égare à tous les coups

1996
vous savez qui je suis au moins
elle me dit en colère
oui je sais
vous êtes une putain de vieille gargouille
je lui dis avec mon chagrin
CDD non renouvellé

2018
pour une fois
je sais exactement ce que je fous ici
dans les caves d'un château hôpital
le temps y passe différemment
et mes souvenirs arrêtent un peu de me conditionner

1992
je suis veilleur de nuit
j'apprends en 18 mois tout ce que dix années de système scolaire ne m'ont pas appris
l'école est partout sauf à l'école

2018
la route est déserte qui tourne sous des nuages bien blancs
dans un ciel bien bleu
d'ici je peux quasiment embrasser toutes les directions d'un seul regard
tout cet espace me réapprend à respirer en fait
en plus de me laver les yeux

2001
je fuis ma vie dans les cinémas
je bois quasiment trois bouteilles de whisky par semaine
et la bière me repose du vin
et le vin me repose de la bière
visiblement quelque chose me fait mal
et je ne sais toujours pas quoi
graisse dipsomane

2018
mes poèmes la pluie s'en chargera
et mes ongles n'y pourront rien
la semaine c'est pure invention humaine
et la nuit c'est tous les jours

post scriptum
qu'elles viennent enfin les bêtes sauvages
j'ai un instinct à réparer moi

mercredi 4 avril 2018

monotribe douze


binôme (à Nathalie)



cabriolets que nos têtes en bord de mer
bouteilles à la merde sous l'influence de la lune
plutôt que de faire l'arbre
on badine à mort
et tu as failli louper ton train
et tu as presque couru

silence habité
le temps de renouveller nos peaux de mammifères qui se souviennent de trop de choses
silence habité
le temps de remplacer tous ces trucs inexorables par beaucoup mieux c'est-à-dire par n'importe quoi d'un peu improbable 

chaleur des mots
chaleur des mots qui prennent chair
patates et saucisses pour aller aux jolis mots sales de l'amour

on les fait revenir à feu doux
les yeux

on les fait revenir
mangeailles dans le cou de nos souffles coupés

tu es trop chou comme garce je trouve
j'aime bien te faire crier je crois
comme j'aime bien que tu me l'enlèves de la bouche
l'aurore
comme j'aime bien que tu me la remettes dans la bouche
l'aurore
bénis nos doigts qui nous peaufinent
sacrée la natation dans nos nids où nos raies se lavent
et puis vagues de nos ventres quand la joie nous allège 

vagues de nos ventres tandis que le soleil nous télescope exprès afin de nous regarder mieux 
exprès afin de nous mieux regarder

vin
vue
voix
les bonnes nouvelles ont retrouvé nos adresses mais c'est toujours l'errance qui nous héberge

et on continue à creuser le poème
l'espoir c'est vraiment pour les connards
et on continue à creuser le poème
guerre des oiseaux aussi cons que des hommes
et on continue à creuser le poème

à dire chien pour la langue
à dire chien pour la salive
à dire doux baisers binôme

dimanche 1 avril 2018


Stéphane (2016)


comme chaque dimanche
du temps ordinaire
95 % des hommes creux
tournent en rond en terrasse
sur le balcon
dans des cubes
dans le doute
dans leurs besoins d'automatismes
ils attendent une nouvelle orientation de leur vie
ou bien une quelconque embellie dans leur quotidien

comme eux je n'ai aucun projet
juste deux-trois rêves qui m'améliorent
passque moi j'ai admis mon niveau de merde

rame en approche
la sobriété me défonce
il se peut que j'aboie

lundi 26 mars 2018

Mémé (2013)


Mémé 
ma Mémé adorée
juste pour te dire que grâce à tes sous
je me repose enfin de ce bon vieux système patriarcal
qui favorise si bien certaines sécrétions vaginales
mais plus les miennes
mais plus celles-là
mais plus maintenant
mais plus jamais
je me remets lentement ma Mémé
je récupère pour de vrai
guérie de mon rôle guérie de mon rang
guérie de ma faible personnalité
comme dirait ta fille ma chère Maman
qui ne se démettra pas une épaule
en essayant de me consoler...
mais contrairement à elle
j'ai plus (trop) besoin de tous ces trucs et ces machins
qui rendent vrais et beaux les gens qui ne le sont pas trop

pendant ce temps des mélanges hyperféroces me lavent les nerfs Mémé
et me relâchent au large dans des mers hyperbouillantes
qui me soignent le sang
qui me font mouiller grave
comme une véritable petite salope
comme la fiancée secrète du requin-tigre

ta petite-fille qui t'aime
où que tu sois désormais

en compagnie de NatYot

vendredi 23 mars 2018

phatique


le fameux poète me déconseille fortement de travailler avec cet éditeur 
que l'éditeur et moi dans la même pièce
il ne sait pas ce que ça peut donner
que ça peut même faire du vilain


le fameux poète me confie également
qu'il faut se méfier des éditeurs qui sont des auteurs frustrés

je lui dis que je vais quand même me décider à confier mon manuscrit à l'éditeur
que j'ai trouvé ses arguments limpides contrairement à certains
que son envie de me publier me semble sincère même si je pressens qu'il eût préféré que je sois homosexuel
que je trouve ses livres classieux qui plus est
et son désir de faire évoluer son catalogue tout à fait louable voire carrément courageux

le fameux poète est surpris
il me dit que je ne devrais pas faire ça
que l'éditeur navigue à vue
qu'il n'a pas de ligne éditoriale
et blablabla et blablabla

je remercie le fameux poète pour ses précieux conseils et je retourne à ma bière

six mois plus tard
je constate que le nom du fameux poète apparaît au catalogue de l'éditeur
et je me dis tiens...

mercredi 21 mars 2018

déontologie

la grande poétesse outre-Atlantique prépare une micro-revue littéraire basée sur le bénévolat comme c'est coutume dans le milieu

elle aime vraiment beaucoup un de mes poèmes la grande poétesse
elle a carrément flashé dessus mais elle a aussi des principes sur lesquels elle ne transigera jamais
elle ne me publiera uniquement que sous mon vrai nom
celui que m'ont donné mes parents

je lui réponds qu'en tant que poète
ma famille m'a toujours plus ou moins considéré comme un parasite déviant
traduire par fainéant
traduire par tapette
et qu'au nom du punk de Blaise Cendrars et des indiens d'Amérique
tout ce que je ne suis pas mais qui m'éclaire et me nourrit
mon pseudonyme est un masque et un projet qui me permet de me réapproprier moi-même

certes j'en fais un peu des caisses
d'autant que j'en rajoute encore un peu quand
je me surprends à lui dire que tout cela n'est pas négociable
elle me rétorque qu'elle ne peut pas faire d'exception la grande poétesse
qu'il faut que je la comprenne
que sa déontologie est en jeu


alors ne prenons surtout pas de risque lui dis-je et restons-en là

deux jours plus tard elle me recontacte
elle a bien réfléchi
elle aime vraiment trop mon poème
elle accepte mes conditions
elle compte sur ma discrétion pour  que cela ne s'ébruite pas
je promets de garder le secret 
et je la remercie
traduire par rien à foutre de ces conneries
traduire par pitié passons à autre chose

juillet
le fanzine est mis en ligne
et il est très réussi je dois dire
modeste et intense
textes disparates et néanmoins cohérents
parfaitement enrichis qui plus est
par une iconographie pertinente

septembre
on me demande d'être rédac chef d'une revue numérique

manière de renvoyer l'ascenseur
je propose à la grande poétesse de figurer au sommaire
je reçois un mail dans la foulée
elle est positivement ravie 
elle est absolument enthousiaste
elle me demande juste le montant de sa rémunération

mardi 20 mars 2018


uchronie (à Jim)

quand tout va bien la résilience ne profite à personne 

un mec tape comme un fou à toutes les portes de ton immeuble à trois heures du matin
c'est pas Charles
c'est pas Maxime
c'est pas Pauline
c'est l'ex de ta voisine
un chaudronnier-soudeur qui a tâté de la boxe pieds-poings
un mélange de Paul Verlaine et de Sam Peckinpah
pas de combat pour lui depuis quatre ans
et le dernier fut largement perdu

les flics l'embarquent
tandis que tu te rendors

tu rêves et ça manque encore de son bleu de rousse à elle
tu rêves et ça manque encore cruellement d'infirmière coquine qui piloterait doucement ta masturbation

en apprenant à ne plus juger tes émotions
tu rates une nouvelle fois ton rendez-vous chez l'ophtalmo
péripétie supplémentaire dans ta vie de merde

tu t'essaies à l'écriture à quatre mains
mais c'est définitivement pas pour toi ce truc de gonzesse en quête de fusion affective

tu t'essaies à la méditation transcendantale
au bout de 30 secondes
tu visualises une piscine de femmes
fontaines
et dans la foulée tu roules ton troisième bédo de la journée
et à la première bouffée tu deviens complètement débile

les gens ne te veulent aucun mal
les gens ne te veulent aucun bien non plus
lampe-torche que leur indifférence
lampe-torche avec laquelle tu éclaires ton propre chaos

tu laisses la fenêtre de ta chambre ouverte
flocons de neige que le vent dépose sur ton lit
flocons de neige à Prague également
paraît-il

tout arrive
compliments de Cirroco Jones qui trouve dommage que tu sois un mec

tout arrive
tu passes un entretien dans une grande entreprise pour un boulot de bureau

le responsable te demande si tu es véhiculé
tu lui rappelles que tu es sans ressources

si vous êtes courageux et que vous ne faîtes pas de syndicalisme
vous aurez bientôt une voiture
il te dit ça avec ses dents

et plus beaucoup de temps pour vivre bien sûr
tu lui réponds ça avec tes sourcils
fin de l'entretien

tu bois un café dans la salle de pause qui pue trop la prison
murs beige
bancs en acier
unique fenêtre à barreaux donnant sur un mur de tôle
tu comprends soudain comment doivent être  considérés les employés ici

tu coupes à travers le parc
la nature te nettoie
tu chopes le métro de justesse
le moule-minou sur lequel tu tombes
c'est un peu d'adrénaline pour toi binoclard

exil dans la cafétéria
où des ufologues parlent d'échangisme et de secte naturiste

exil dans la cafétéria
où maman déprime
tandis que papa picole
rumination contre gêne guerrier

une mère de trois enfants engueule une famille nombreuse
arrêtez de tout dégueulasser
elle leur dit

ça te fait penser que toi-même
tu n'as presque plus de famille
tu gardes un bout de sandwich pour le chien errant qui traîne toujours sur le parking
toi aussi tu traînes comme une âme en peine

il n'y a pas d'issue
pas ici en tous cas

printemps de camping-car
printemps à boire de la sous-marque en sous-vêtements
printemps à trinquer en l'honneur de la pluie

pour certains tu es un psychopathe prosocial 

pour d'autres un bipolaire dépressif

simple constat
ton astrologue t'aide beaucoup plus que ta psy
par exemple tu découvres que tes limites peuvent aussi créer des possibilités
et ça c'était pas prévu

ouais l'ami
y a pas d'âge pour apprendre

ouais l'ami
l'espace ne s'arrête jamais